Last but not least

Rien de tels que des moments marquants et d'être bien entouré pour célébrer un anniversaire inoubliable. Cette année, je suis particulièrement gâté et je me réveille dans cet état d'esprit. Personne ici n'est au courant (tant mieux) par contre les chiens sont là et me réjouissent. Je me suis payé ce séjour pour marquer cette occasion. Aujourd'hui mon cadeau, c'est une longue journée de traineau avec de fidèles et dévoués compagnons qui m'interceptent alors que je pars me débarbouiller au lac. A table, les baniks (pains cuits à la poêle) ont remplacé les traditionnels pancakes, clin d'oeil involontaire à une journée "spéciale".

Début de journée au camp ARKA

Le départ est très rapide ce matin pour profiter de la gelée de cette nuit qui a durci le sol. Dans le même temps, il faut que nous fermions le camp car, avec la "débâcle", il ne sera plus accessible de la saison.

Cabane du camp ARKE

Depuis plusieurs jours me prend l'envie de faire un clin d'oeil à "Hello Kitty". Voici notre modèle vivant avec nous. Elle n'est pas belle ?

Kitty

L'autre groupe part devant mais se rate totalement. La sortie du "périmètre" consiste en une boucle de 200 à 300 mètres avant de repasser au pied d'une butte qui y donne accès dans l'autre sens, quand on arrive. F. et moi sommes postés à ce dernier endroit pour photographier nos collègues de voyage mais les minutes passent et personne ne vient ? On entend juste des cris indissociables de la progression. Lorsqu'ils débouchent enfin, les chiens de Julien se trompent de direction et s'apprêtent à regrimper la rampe d'accès au campement. Ce faisant, ils me renversent alors que j'ai l'oeil dans le viseur et ne vois rien arriver. Après cette bérézina, le groupe parvient enfin à s'éloigner lentement et par à-coups.

Passage de Julien

Après quelques papouilles à mes compagnons, le grand départ est donné. L'ultime départ. Toujours sur les chapeaux de roue : une énorme traction et un bond, puis une pointe de vitesse grisante. Romain frise la correctionnelle : il perd son tapis faisant office de frein léger après quelques mètres, percute latéralement un arbre qui casse son bumper (pare-chocs) et l'arceau-guidon auquel le musher doit se cramponner pour guider le traineau. Malgré ces avaries, il reste debout et parviendra à la fin de l'étape. Un grand pro !

Passé ce fait divers, les attelages filent à fond de train. Tout fonctionne de manière fluide. Nous sommes désormais les maillons d'une même chaîne, les wagons d'un même convoi. Nous sommes une communauté : la communauté du traineau.

Eko et Gunner à l'avant, Kraken et Kapa derrière

J'engrange tous ces souvenirs dans les moindres détails parce que qui sait si une telle opportunité se représentera un jour ? Entre deux encouragements, j'enregistre également l'attitude de mes chiens : le balancement des deux oreilles d'Itak et de l'oreille droite de Kuba, le besoin d'attention de Koïva qui tourne la tête et me fixe de temps en temps ou sa course en biais, la pêche retrouvée de Malik après son moins bien d'hier et son échine courbée sous l'effort ... Ils m'ont apporté beaucoup de bonheur sur ces quelques jours mais se rendent-ils compte combien ? Nous évoluons à présent en "symbiose" : je pilote de façon plus souple, leur évite les à-coups et descends du traineau dès que possible, eux se livrent sans compter et m'offrent leurs débordements de joie auxquels je réponds au bivouac. Chacun trouve son compte dans l'association.

En longeant une rivière

Perdu dans les errances de ma pensée, je réussis par miracle à revenir à moi juste à temps pour ne pas tomber d'un pont dans une rivière libre. Mon traineau n'est plus qu'en appui sur un seul patin, l'autre est au-dessus du vide. Avec tout le poids de mon corps, je parviens à l'incliner de 10 à 20°. Romain et F. m'ont avoué à la pause suivante qu'ils me voyaient déjà dans l'eau. La leçon est rentrée et je resterai plus vigilant jusqu'à la fin.

A nouveau nous rattrapons l'autre groupe qui enchaîne les déboires comme d'autres enfilent les perles à un collier. Il est en même temps décidé de faire route commune car la rivière Mistassini où nous sommes passés les deux premiers jours est à présent noyée sous un mètre d'eau à cause de la chaleur récente ! Jouant à l'accordéon quand on est aussi nombreux et immobilisé sur une rive en pente, je sens mon traineau glisser doucement vers la berge. Heureusement, on repartira juste à temps pour que je récupère la situation contre laquelle je ne pouvais rien à l'arrêt complet.

Rivière en cours de dégel

Nous sommes désormais une caravane qui file vers Notre Dame de Lorette en procession, le seul lieu où Gilles pourra venir nous récupérer en camion.

Caravane des neiges

 Le bout du chemin se présente et les traineaux s'immobilisent. L'aventure se termine, ne restent plus désormais que les souvenirs derrière nous. Lorsque le téléphone satellite parvient enfin à joindre le camp de base, nous apprenons que nous avons pour une heure d'attente au bas mot. Le camion avec la remorque doit passer par Dolbeau soit un détour d'une centaine de kilomètres pour récupérer le pont le plus proche. Autre "hic", la remorque ne peut transporter que 24 chiens à la fois; nous en avons 37. Il y aura donc deux allers-retours et une énorme attente pour ceux qui vont rester là. En attendant, un événement va me laisser un goût amer. Avant même l'appel par téléphone, nous remercions chacun nos chiens par des compliments, caresses et bisous. Puis chacun vaque à ses occupations. F. se couche dans son traineau sans l'avoir bien arrimé. Ses chiens vont réussir à le déplacer et s'attaquer entre eux. Kapa et Kraken, ses deux "tracteurs", se jettent sur Gunner et l'attaquent violemment. Je tire comme je peux sur la ligne de trait mais n'ai pas assez de force pour retenir les deux molosses alors je hurle "Au secours ! A l'aide !" pour sauver ce pauvre Gunner. Une bataille peut en effet être mortelle nous a-t-on expliqué. Et je n'ai pas envie de vivre un drame. Pas aujourd'hui. Romain arrive d'abord mais a du mal à départager les chiens. Tout juste parvient-il à raisonner Kapa mais Kraken est toujours dans sa folie. Sur ce, Julien se pointe à son tour et commence à passer à tabac Kraken, prêt à tout pour qu'il lâche Gunner. Kraken arrête et adopte une posture de soumission mais il faut lui donner une correction et Julien continue à frapper violemment jusqu'à ce qu'un filet de sang sorte de la gueule du chien. J'ai mal pour lui même si c'est en partie mérité. Kapa aussi prend une correction mais plus légère. Quant à Gunner, apparemment il n'a pas de blessure apparente mais est groggy. Les longues et pesantes minutes qui suivent servent à surveiller ce trio tandis qu'on commence par ailleurs à détacher les chiens de l'autre groupe pour les mettre sur la stake-out. Tout fini par rentrer dans l'ordre et Kraken est attaché à l'écart pour se calmer. Seule une autre attaque a émaillé le circuit et s'est produite dans le convoi du "Club des 5". Deux chiens dont Kitty présentaient des blessures : l'un derrière les oreilles, l'autre à l'oeil proche du canal lacrymal. Voilà un nuage qui vient ternir la fin de la journée. J'ai également un pincement au coeur à l'idée que je vois mes 4 compagnons pour encore une poignée de minutes seulement, un goutte d'eau dans l'océan de la vie. Je retourne donc avec nostalgie les voir sur la stake-out.

Chien au repos Gunner
Un vrai groenlandais Stake-out

Après une heure, le camion arrive enfin. Il va embarquer 6 traineaux, 24 chiens et tout le monde sauf Julien et Romain qui vont encore attendre plusieurs heures avec le reste des chiens. Nous conduisons et aidons les chiens à monter dans leur petite cage. Puis nous partons.

Remorque pour transporter les chiens Chien dans la remorque

 La route est très longue : plus d'une heure. A l'arrivée, c'est le rush pour que le camion puisse retourner au plus vite chercher le reste des équipages. Nous ramenons les chiens un par un jusqu'à leur niche en courant, déchargeons les traineaux et sortons nos affaires. Le camion repart entre 18h et 19h, il ne reviendra qu'à 22h ! De notre côté, après avoir rangés les traineaux, nous pouvons aider au nourrissage des chiens. Je prends donc un bidon et vais les ravitailler. Puis, je retourne voir une dernière fois mes 4 compagnons, ma communauté. Adieu !

Cette ultime nuit, je la passerai sur mon traineau et ils seront tous les 4 bien présents. Comme on me l'avait dit, je me suis bien attaché à eux mais je l'ai cherché.  Et c'est encore avec émotion que, plusieurs semaines après, je pense à eux et à cet anniversaire si parfait en écrivant toutes ces lignes.

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