Aujourd'hui, c'est le printemps, symbole d'une vie qui repart après une saison endormie à préparer la nouvelle année. Les jours rallongent de plus en plus, la nature va recommencer à se parer de ses plus beaux atours, certains animaux vont ressortir pour reprendre leur existence là où ils l'avaient volontairement laissée il y a quelques mois. Et ce nouveau départ, ce n'est pas seulement celui d'une nouvelle saison, c'est également le nôtre ! L'optimisme est au beau fixe : les chiens ne vont pas tarder à s'exciter, les traineaux sont presque en ordre de marche et les humains gonflés à bloc pour 4 jours d'autonomie en pleine nature, à étancher leur soif de beauté.
Nous répartissons entre nous : boîtes de nourriture, croquettes par sac de 20kg, matériel pour abattre des arbres morts ou réparer les traineaux, bagages, raquettes ... Les chiens vont facilement tracter 30 à 40 kg de plus qu'hier.
Nous allons encore partir en dernier. Quant à moi, je serai aujourd'hui au milieu, entre Romain et F.. En attendant notre tour, je salue autant de chiens que possible par de petites caresses et quelques instants partagés. Je reconnais sans problème les miens et pense qu'eux aussi. Je leur verse un petit acompte sur les attentions de la journée.
A présent, je vais davantage insister sur la technique :
1. L'enfilage des harnais
Le harnais comprend notamment un X. La partie supérieure est pour la tête, les trous gauche et droite pour les pattes. L'intersection des branches du X doit se trouver sous le poitrail au final.
Pour l'enfiler, on le met d'abord à l'envers (la partie qui sera sur le poitrail se trouve initialement au-dessus de la tête), puis il faut passer la tête du chien dans le trou ménagé, avec ou sans son aide. Quand c'est fait, on peut tourner le harnais autour du cou du chien pour le mettre dans le bon sens. Restent à positionner les pattes à leur emplacement puis à tirer sur le harnais en arrière sur le dos de votre compagnon.
Lorsque cette étape est achevée, on peut détacher le chien et l'amener au traineau en choisissant plus ou moins l'itinéraire. Dans tous les cas, on perd rapidement son souffle comme signalé la veille.
Chaque chien doit être attaché en deux points : à l'arrière du harnais et au cou.
2. Le départ
Lorsque les 4 chiens sont attelés, il ne va pas falloir tarder à partir à cause de l'excitation. Il faut bien être sur tous les freins même si l'ancre, plantée depuis le départ, est déjà une bonne sécurité. Les chiens se propulsent déjà en avant pour tenter de déplacer le traineau mais en vain. Ils gémissent à n'en plus finir...
L'ordre est donné de détacher les chiens de devant du traineau qui les précède pour éviter qu'ils ne soient étranglés par un démarrage différé de l'un ou de l'autre. C'est le signal d'un départ plus qu'imminent. Chaque musher donne alors son ordre de départ en ôtant l'ancre et en criant "ok". Les patins s'arrachent du sol et vous dépassez E.T. qui est en train de décoller avec son pauvre vélo. La secousse est brutale !
Il faut à présent se remettre rapidement pour bien négocier le premier virage, celui où hier nous avons presque tous goûté la neige. Et ça passe ! Nous sommes grisés par le bon bol d'air pur au goût de liberté et d'aventures pour 4 jours. Notre départ ayant été trop canon, nous nous retrouvons englués dans les bouchons en pleine nature. Un comble !
C'est le groupe de devant qui rencontre ses premiers déboires de la journée, pas les derniers. "Et alors les tortues, vous allez me l'enclencher c'te seconde ?" ou "Vous avez eu le permis traineau dans une Pochette Surprise les Djeun's ?" auraient pu être des répliques utiles mais de toute façon ça n'aurait rien réglé à la situation parce que si des chiens se dépassent, il y a risque d'attaques. Alors on prend son mal en patience et on fait de l'accordéon au dépend des chiens.
Après quelques minutes, nous parvenons à la grande rivière Mistassini pour la dernière fois. Notre partie du groupe la remonte sur quelques centaines de mètres, zigzaguant pour trouver le passage avec le moins de neige.
Romain puis moi courons à côté des chiens pour les soulager avec du poids en moins vu qu'ils en ont jusqu'à mi-pattes. Je lis dans les yeux des miens la surprise de me voir à leur niveau. Alors je me mets à réciter une litanie d'encouragements tout en restant à leurs côtés. Je suis sûr qu'ils ont apprécié aux coups d'oeil qu'ils m'envoient.
A l'avant, Artik, le seul à connaitre les directions en tant que chien de tête du convoi, confond cependant à quelques reprises "droite" et "gauche", ne comprenant pas qu'on le fasse passer par un itinéraire qu'il juge curieux. Puis nous rentrons dans la forêt et allons tenter d'y rester pour ne pas exposer nos compagnons au soleil. La météo est d'ailleurs au coeur de l'actualité car on bat en ce moment un record de température vieux d'un siècle avec plus de 20°C !
Nouveau pique-nique le midi et, incroyablement, on cherche l'ombre, au Canada, en mars ! Cherchez l'erreur.
Un bruit de couvert et ça repart plus vite qu'une charge de cavalerie. Pavlov en serait jaloux.
En fin de journée, nous arrivons au lac Trappeur et en faisons légèrement le tour. Malheureusement pour les chiens, il est couvert de slush (eau fondue sur de la glace) et seule une étroite bande est encore praticable. La slush a plusieurs inconvénients : elle ralentit le traineau, demande plus d'efforts aux chiens car cette surface accroche et elle trempe nos pieds d'une eau glaciale. Tant bien que mal, nous essayons de nous maintenir sur la chaussée blanche mais n'y restons jamais totalement : plutôt avec un seul patin.
Pour soulager les chiens, je descends des patins et cours derrière le traineau tout en laissant mes mains accrochées à l'"arceau-guidon". Après notre traversée de la moitié du lac, nous contournons une île ou une péninsule où se trouve notre hébergement du jour pour nous engouffrer dans une étroite ouverture forestière. C'est l'entrée de la "propriété". Pour avoir l'autorisation d'exister en pleine nature, le propriétaire doit acquitter une taxe de 50€ par an.
A l'aide d'un "STOP" ferme doublé d'un freinage, nous arrêtons le convoi pour aujourd'hui et rattachons les chiens de devant au traineau qui les précède. Le travail est terminé. Maintenant, il faut congratuler les chiens avec caresses et paroles douces. Certes ils ne comprennent pas les mots mais l'intonation leur donne une indication claire à laquelle ils sont sensibles.
L'étape suivante consiste à détacher les chiens pour les accrocher à la stake-out, un filin d'acier où ils vont rester accrochés jusqu'au départ de demain. Une fois attachés, on peut leur enlever le harnais en commençant par les pattes puis la tête. Les chiens peuvent alors bouger dans un rayon de 1 mètre. Mais il ne faut pas se laisser aller à de l'anthropomorphisme en se disant qu'ils dorment dehors et attachés donc ne sont pas heureux. S'ils étaient en liberté, ils s'étriperaient et même au camp de base, la plupart dormaient dehors plutôt que dans leur niche.
Je consacre du temps à "mes" chiens et ils me le rendent bien : tentatives de léchouilles au visage, sauts sur moi, pattes m'enserrant une jambe et le poitrail sur mes botte ... La France est bien loin et je pense à ma chance d'être là. Je dois en profiter au maximum tant l'épisode risque d'être bref.
Je contribue ensuite à aller chercher de l'eau pour les chiens au lac. Un trou est ménagé dans la glace, assez facile à rouvrir au talon. A l'aide d'une gamelle, on remplit à 3 deux récipients.
Mélangé à des croquettes et broyé, ça constitue un "sirop" pour chien. C'est un moyen de les faire boire mais également manger parce que certains coquins renversent leur gamelle pour simplement laper les bouts de croquettes encore un peu compacts. Je participe en suivant à la distribution du breuvage. Nous avons une dizaine de gamelles à notre disposition. Il faut donc les faire tourner.
Tous les chiens ne boivent pas parce que certains ont déjà consommé de la neige en cours de route. C'est par exemple le cas de Koïva et Kuba.
Le service fini, on s'apprête à partir pour une randonnée en raquettes. Notre groupe a des raquettes huronnes, les autres des modernes (sauf leur guide Julien). Les nôtres sont plus larges et n'ont pas de pointe ou de dent au-dessous pour cramponner le sol. Nous tombons au démarrage sur un siphon : un tourbillon d'eau froide plonge vers les profondeurs tandis que l'eau chaude remonte.
Un peu plus loin, nous entrons dans la forêt et l'objectif devient d'ouvrir une piste pour demain. Je m'applique donc à élargir la trace initiale pour que le traineau passe mieux. Petit cours de botanique sur les épinettes noires et rouges, les bouleaux, les mélèzes.
Le couvert forestier se resserre. La piste ne sera pas praticable pour les chiens. L'effort supplémentaire aura juste été pour l'honneur.
Au terme d'une boucle de 8 à 9km avec une neige collante à hauteur de genoux pour les premiers, nous profitons d'un superbe spectacle lumineux : un coucher de soleil sur la forêt puis le lac, véritable embrasement du ciel, tel le dernier projectile d'un feu d'artifice rayonnant avant que tout ne plonge dans l'obscurité vespérale. Un moment magique où le temps s'arrête et l'instant prend une valeur inestimable. Je suis ébahi.
Pour regagner notre logis, il nous faut justement retraverser ce miroir enchanté en piétinant dans la slush.
Ne reste plus qu'à récupérer des forces dans la cabane de trappeur autour d'un pâté (tourte au poulet) avant de se glisser dans son duvet pour une autre sorte d'évasion.